samedi 30 août 2014

Tour des Cirques, partie 2 : Gavarnie - Vielle Aure


Pour ceux qui auraient raté le premier épisode :
 


Dès la sortie de Gavarnie on comprend que cela va être compliqué : le sentier est boueux, glissant, et il faut chercher les pierres à la frontale dans le brouillard pour éviter de chuter et se blesser. On descend pas mal avant d'arriver à Bareilles pour attaquer une grosse montée, la dernière partie que j'avais reconnue en début de mois. Notre rythme est bon, le quatrième coureur qui s'était greffé à notre trio explose et l'on se dit qu'il continuera avec les groupes que l'on double. Sur le plateau de Saugué on ne voit pas grand-chose et l'on finit par croiser quelques coureurs un peu perdus dans le brouillard. Connaissant cette partie, je passe devant et guide le groupe pendant un moment. Cette partie du GR10 n'est vraiment pas simple, le sentier est étroit, bordé d'une haute végétation qui gêne la progression et la pose des bâtons. Après s'être brièvement perdus une nouvelle fois, on quitte le secteur que j'avais reconnu. La montée qui suit en direction de la crête de Pouey Boucou n'en finit pas, alors que je l'imaginais assez brève. On monte, on redescend un peu , on remonte, le sommet n'arrive jamais. Mais dans les moments où je peine ou bien quand je râle, la solution est vite trouvée : je suis là pour mon plaisir, parce que je l'ai voulu, je ne suis pas dans les montagnes d'Irak en train de fuir  pour sauver ma vie. Cette pensée suffit à remettre les choses à leur place et à me relancer dans la course.
 





La crête atteinte, c'est une longue descente d'équilibriste qui s'engage en direction du prochain point d'eau. Nous sommes toujours à trois même si Steve a pris un peu d'avance. Le sentier est très glissant, dangereux sur quelques passages et voir la frontale de Steve quelques mètres en-dessous de moi n'est pas fait pour me rassurer. Je marche sur des œufs et ça va durer quelques kilomètres. Pour tout dire, ce sentier en devers à côté duquel je ne sais pas s'il y a du vide ou pas, me donne de plus en plus des envies d'abandon. La peur d'affronter le passage d'Arrode réputé à risque me gagne et je sais qu'avant de l'atteindre nous serons tout près de la route et à proximité du prochain ravito. Abandonner pour raison de sécurité me semble une raison valable.
En attendant, nous poursuivons prudemment sur ce sentier et après de longues heures nous finissons par atteindre le ravito de Bué. Il est 2h du matin, voilà une oasis dans la nuit.
 




Je refais le plein des bidons, grignote quelques trucs et après quelques minutes repars avec mes deux compagnons. Nous sommes contents de pouvoir progresser sur une piste large qu'en temps normal nous aurions trouvée sans intérêt. Le sentier est ensuite plus facile et, sans parler d'abandon, je leur fais part de mes craintes pour le passage à venir. Ils m'assurent qu'ils seront là pour m'encadrer. Ceci, ajouté à la présence annoncée de deux bénévoles et du fait que dans la vie il faut savoir affronter ses peurs pour avancer, fait que je me remotive et que je bascule sans sourciller sur le bon sentier, à la bifurcation où tout aurait pu s'arrêter.
 




C'est encore une grosse montée qui nous attend, toujours dans la nuit et le brouillard. Steve repère les nombreux champignons qu'il n'a pas le loisir de ramasser, Romain a les yeux qui fatiguent et sa vitesse s'en ressent un peu. J'ouvre la route, prudent sur deux ou trois passages où je ne mets pas la frontale sur le côté pour juger de la profondeur du vide. Et puis nous finissons par trouver les deux bénévoles et le fameux passage à risque. Ils  nous saluent et nous demandent si nous sommes lucides. Je réponds par un "Bonjour", en pleine nuit… Mais ils ont fait un super boulot et la main courante qui a été installée suffit à me rassurer sur ce passage finalement très court. Au-dessus il reste un passage câblé où je me faufile aussi sans peine et sans peur. Le plus dur est passé, il reste maintenant à dérouler jusqu'à l'arrivée, même si c'est à peine plus compliqué que cela.
 



Bien que toujours très glissant, le sentier est quand même beaucoup plus simple par la suite. Vers 4h du matin, alors qu'il me semble apercevoir en pleine nature une femme en robe de chambre sur un balcon, c'est un sympathique couple qui devant sa maison propose aux coureurs un peu de thé chaud et quelques biscuits. Une attention que beaucoup auront apprécié, un peu de chaleur au cœur de la nuit qui nous aura permis de nous relancer pour la dernière bosse de la croix de Sia avant de redescendre vers la civilisation. Il est 6h du matin, dans les rues de Luz nous sommes encouragés par quelques jeunes qui terminent leur soirée devant une boîte de nuit. C'est leur vérité du moment, peut être que dans quelques années ils trouveront celle qui est la nôtre actuellement.







Nous finissons par rejoindre la base vie d'Equièze-Sère où s'entassent coureurs du 120 et du 160km. Nous trouvons un coin pour nous installer et déballer le contenu de notre sac de rechange. Nous n'avons fait "que" 78km et la route est encore longue. Romain a décidé de s'arrêter là pour se préserver en vue de la Diagonale des Fous. Par Steve qui est resté connecté nous avons appris l'abandon de Flo et Francis, les rangs s'amenuisent. 
Steve et moi prenons notre temps, pour essayer de repartir presque neufs. Changement de vêtements pour le haut, chaussettes propres après avoir mis un pansement sur une ampoule naissante et nouvelles chaussures. Je laisse là mes Ultra Raptor si performantes en terrain glissant pour prendre les Cascadia 7 plus confortables, confiant dans la météo annoncée et donc le terrain sec à venir. Je recharge en boisson et en nourriture, étonné et satisfait de n'avoir aucun problème pour m'alimenter après 20h sur les sentiers. Le Nutraperf passe bien, tout ce que j'ai avec moi comme les ravitos de l'orga embarqués aussi. Parfait et indispensable.







Je mange quelques pâtes avec un peu de jambon, une compote, étonnamment aujourd'hui je n'ai pas envie de Coca. J'essaie en vain de somnoler un peu, de ne rien oublier dans mon équipement et puis quand nous sommes tous les deux prêts nous faisons nos adieux à Romain et repartons avec Steve, bien couverts dans le jour qui se lève. Nous avons 13km à effectuer principalement en montée sur route ou piste jusqu'au prochain ravito. Rien de bien excitant mais après les difficiles sentiers de la nuit c'est appréciable. La brume est toujours là, il ne fait pas froid et nous avançons bien. Les pistes sont entrecoupées de portions de sentiers très raides et tout va bien jusqu' à que Steve commence à décrocher.   





Je m'arrête pour grignoter et l'attendre, il m'annonce qu'il n'a plus de jus. On repart doucement, mais rapidement il prend beaucoup de retard. Je m'avance un peu, pour avoir le temps de m'asseoir et somnoler un peu, la tête posée sur mes bâtons. Un coureur s'arrête pour voir si je vais bien, lui aussi a l'air de puiser. Les seuls qui nous passent à une bonne allure sont ceux du 160km, il est vrai que l'on a à faire à ceux qui termineront dans les trente premiers de cette course. 
Steve me rejoint, pas besoin de parler, je vois bien qu'il est épuisé. Je lui dis qu'on va rejoindre le prochain ravito où il pourra manger avant de poursuivre. Mais c'est lui qui a raison, les trente derniers kilomètres sont un énorme morceau et à cette allure ralentie nous ne passerons pas les barrières horaires. Sa décision d'arrêter est prise, il me dit d'y aller pour ne pas prendre de retard. Je sens en moi la force et l'envie d'aller au bout alors pour ne pas être coincé aux barrières horaires je l'écoute et je pars d'un bon pas vers la suite. C'est dommage, j'étais tellement sûr qu'on allait rejoindre ensemble l'arrivée, mais c'est le jeu de l'ultra et de ses impondérables.




Après une nouvelle longue portion de route, je rejoins le ravito de Tournaboup, déjà 92km derrière moi. Sébastien Buffard est là et m'encourage. On échange quelques mots, il m'apprend qu'il a remporté la course en 17h. Steve arrive aussi, en voiture, pour rendre son dossard. Nouvel arrêt pour moi avec toujours le même cérémonial : remplir les bidons, prendre un peu de salé dans mes poches et me reposer en mangeant quelques pâtes et une compote.
Mais le doute est là : je suis bien fatigué, il reste trente kilomètres dont les dix premiers en terrain difficile avec mille mètres à monter. Vais-je y arriver ou bien est ce que l'épuisement va me gagner avant d'avoir atteint le prochain ravitaillement situé si loin, dans presque vingt kilomètres de montagne sans possibilité d'abandon ?
Et puis je pense à tous ces gens à qui je parle de cette course depuis des mois, sur mon blog, sur les réseaux sociaux, au boulot. Abandonner d'accord, mais pas sans raison valable. Je ne suis pas malade, je n'ai mal nulle part, je suis heureux d'être là, alors la décision semble évidente. Je me lève, je sors du ravito et en me faisant badger je pense à ceux qui me suivent sur internet et vont voir que je suis reparti, pour aller jusqu'au bout. Je reprends mon avancée et seul, sous le soleil qui vient enfin de sortir, je laisse quelques larmes d'émotion s'échapper et couler sur mes joues.
 




Rapidement je suis rejoins par les premiers du 80km et je vais voir le classement se dessiner sous mes yeux. Ici c'est Julien Navarro qui monte fort et commence déjà à distancer Mika Pasero. Un peu plus haut, alors que je progresse sur la piste caillouteuse, je m'arrête pour regarder passer Guillaume Beauxis, futur troisième. Puis j'aborde la superbe partie en direction d'Aygues Cluses. Superbe mais ô combien technique. J'avais oublié ces sentiers caillouteux, ces passages de blocs où il faut chercher sa trace, ces montées raides au milieu des racines. J'avance toujours, mais se faire doubler par des randonneurs est quand même un signe de lenteur. Peu importe, j'irai au bout comme sur l'Ultra Trail Catllaràs, cette belle épreuve vaincue il y a un mois sous la chaleur et dont je porte le bracelet aujourd'hui, l'autre pilier de ma détermination.
 









J'arrive auprès de la cabane où je reprends un peu d'eau et m'arrête pour piocher un peu de salé dans ma réserve. Puis je repars affronter la montée vers le col. Les lacets s'enchainent alors que la pente se redresse et après plus de 29h de course j'atteins la Hourquette Nère à 2465m. Plusieurs coureurs sont assis là et se reposent, avec sous les yeux le superbe panorama du Pic de Bastan et des nombreux lacs qui s'étalent à ses pieds. Je ne m'attarde pas et m'engage dans la descente où j'arrive à trottiner un peu. Juliette Blanchet la première féminine du 80km me dépasse, très à l'aise sur ce sentier technique.
 






Sous le lac de Port Bielh je croise Yvan, idéalement posté pour faire des photos dans un décor paradisiaque. J'ai longtemps pensé à l'instant où je le croiserai et c'était aussi un des moteurs qui me faisait avancer. Je suis faible mais pas mal, on parle un peu et je lui dis que si je continue comme ça la bière d'arrivée est envisageable.
Un peu plus bas, c'est Sandrine Prisse qui me doublera, assurant sa seconde place. Avec elle comme avec beaucoup, les encouragements seront mutuels et les saluts sympathiques. Peu passeront sans répondre, coincés dans leur bulle. Sourire et profiter du moment fait pourtant aussi partie des clefs de la réussite.






Et ils seront nombreux à me dépasser sur cette interminable descente qui mène au lac de l'Oule. Un sentier qui descend peu mais est très technique avec de nombreuses marches, mélange de blocs et de racines, un calvaire pour celui qui n'est pas en forme. A ma grande surprise, la remontée sur Merlans que je redoutais ensuite se passe très bien et c'est en bonne forme que je rejoins ce dernier ravitaillement. Je me restaure, discute avec les bénévoles, serein car quand on est là on sait qu'il reste très peu et que la victoire est proche.








J'en repars d'un bon pas, en profitant du soleil car comme souvent le col de Portet est pris dans le brouillard. Je croise beaucoup de public qui descend, d'autres attendent au bord du chemin le passage de leur champion. Je cherche le regard d'une jolie brune qui n'est pas là pour moi, j'obtiens un sourire et un bravo. Je lui rends un sourire et un merci, avant d'en terminer avec cette dernière montée. De l'autre côté du col de Portet, les premières pentes sont très raides et c'est un calvaire de les descendre. Mon voisin du 160km coince comme moi, les genoux font la grimace. Puis les pentes s'adoucissent et ceux qui le peuvent les dévalent en courant. Pour ma part je ne trottine que de temps en temps, par exemple lorsque je croise une route et que du public est là pour m'encourager.
 







Les coureurs du 80km qui me dépassent ont presque tous un mot gentil, il est facile de voir à mon allure que nous ne sommes pas sur la même course et ils se doutent que je suis sur la fin d'une épreuve qui n'a pas été facile.
Après un long chemin où je marche toujours, nous plongeons dans une belle descente à travers bois. Le chemin est boueux, glissant mais joueur, et je m'amuse à courir un peu sur cette superbe partie. A la sortie de la forêt, je le paie aussitôt : ma tête commence à tourner et la barrière sur laquelle je m'appuie semble bouger. Je m'empresse de sortir de quoi manger et je passe là cinq bonnes minutes à savourer mon petit sandwich arrosé de boisson énergétique. L'alerte a été chaude et quand je repars il n'est plus question de courir.
  





La piste qui descend me parait bien longue, mais les concurrents du 80km sont toujours chaleureux, même si la plupart foncent vers l'arrivée pour passer sous la barre des 15h.
Je finis par atteindre le bas de la descente et les premières maisons de Vignec, la délivrance est proche. Yorick est là, je ne m'y attendais pas du tout, mais lui aussi a abandonné et il tenait à me voir arriver. Il m'accompagne un peu sur la route avant de me laisser filer et comme je te sais lecteur, je te remercie encore d'avoir été là.
Il me reste un kilomètre de route et ayant trop peur de la défaillance, je continue à marcher. Ce n'est qu'en approchant des premières maisons de Vielle Aure que je commence à trottiner. Il est 20h et la petite rue est pleine de monde. L'arrivée passe trop vite, c'est ce que j'en retiendrai. Les copains sont là, un sourire illumine mon visage, je suis heureux, mais pas tout à fait conscient de ce que je viens d'accomplir. Je n'ai pas eu là la grande émotion que j'attendais mais qu'importe, j'ai versé des larmes bien avant l'arrivée et je ne sais combien de fois depuis, encore aujourd'hui en écrivant et certainement dans des mois quand je me relirai. Je suis allé au bout de moi-même, j'ai affronté quelques peurs accompagné par deux amis, pris mon destin du jour en main et refusé de renoncer sans raison valable, pour aller au bout de mon aventure, celle dont je rêvais depuis des mois. J'en sors grandi sans aucun doute possible et certainement légèrement changé, les bénéfices de l'ultra ne s'arrêtent pas une fois la ligne d'arrivée franchie.
 


A la fin de ce récit je voulais remercier tous mes potes présents sur place, des plus proches aux justes connus, tous ceux qui me lisent ici ou sur Facebook et à qui je ne voulais pas me présenter avec un abandon non justifié, la family qui s'inquiète parfois que j'en fasse trop, et puis les collègues du boulot qui m'ont suivi sur le net et ont pris des nouvelles à mon retour, chose à laquelle je m'attendais peu.
Alors maintenant place au repos, essentiel et nécessaire après un tel effort, avant de revenir sur de courtes épreuves plus raisonnables et de repartir un jour lointain pour un nouveau défi, qui pour l'instant reste encore à imaginer.
 


Tour des Cirques
123km 7000m+ 8000m-

Terminé en 35h11'
221ème sur 236 arrivants pour près de 400 partants














Merci à toutes celles et ceux à qui j'ai emprunté des photos, ils se reconnaitront.
Merci encore pour tous vos encouragements.
Exceptionnellement vous pouvez laisser un message, cela aussi fera partie de l'histoire.