vendredi 1 novembre 2013

L'Intégrale des Causses


Trois ans plus tard, me voici de retour sur les Templiers. Non pas sur la grande course, ses 2500 coureurs et ses bouchons toujours présents, mais pour courir l'Intégrale des Causses. Un format de 61km 2900m+ annoncé, des sentiers que je sais jolis et surtout un nombre de concurrents  limité à 200. Nous serons finalement près de 300 mais ça reste un nombre raisonnable pour vivre sa course en solitaire.

Pour le salon,  le site s'est nettement amélioré et a quitté la zone pourrie en pleine ville. A Millau plage, on se sent plus entre trailers venus là pour ça. Et arrivé dès le jeudi j'ai pu trouver un parking tout près du site.

Quant à la modestie, ce n'est toujours pas ça du côté de l'organisation : "trail'origin", "capitale mondiale du trail", le concours de celui qui a la plus grosse continue avec l'Utmb.

En attendant, je récupère rapidement mon dossard et le buff, réussi cette année. Pour le salon, j'y reviendrai plus longuement le samedi. J'y ai croisé avec plaisir des connaissances, coureurs ou exposants que j'avais côtoyés quand je tenais un stand. Beaucoup de trucs à vendre, mais on peut aussi en ressortir sans avoir dépensé un centime.



Le soir je retrouve des Kikoureurs pour partager une bonne pizza. Reste à dormir et j'y arriverais très peu, normal avec l'excitation d'avant course.

(Il y doit y avoir un correcteur automatique d'yeux rouges planqué dans le blog et que je ne maîtrise pas. Ce qui fait que l'on dirait que je suis maquillé, alors que non, ça aurait coulé en course ;-) )


5h45 on attend avec Antoine la navette qui va nous amener au départ à Mostuéjouls. C'est son premier ultra et il va très bien s'en sortir, évitant les erreurs de débutant, ce que je n'ai pas fait.



Avec Ludo "The Voice".


7h après un petit échauffement, prêt pour le départ. J'espère mettre 8h pour finir, c'est ambitieux mais je ne le sais pas encore.





Je démarre prudemment, laissant partir les plus rapides. Après un court passage plat, on attaque une belle montée vers le causse de Sauveterre. D'entrée, c'est du bon : petit sentier qui grimpe au milieu des arbustes et des rochers, découvert à la frontale, puis le jour qui se lève lentement et révèle autour de nous de grands rochers aux formes bizarres.







Fin de la montée, un rapide tour sur le causse et on on aborde une belle descente, technique par moments, glissante et où j'apprécie déjà l'accroche des La Sportiva Ultra Raptor.
Je prends peu de photos, pas de temps à perdre, mais je me régale vraiment à dévaler ce sentier avec quelques autres coureurs.


J'arrive au Rozier km11, premier ravito, environ dans mes prévisions en 1h24 (67ème). Un coca pas bon car c'est une sous marque, un bout de fromage et je repars. Je suis étonné de retrouver Gaëlle qui découvre la distance et a donc fait un départ rapide.






Je me retrouve ensuite en terrain connu, sur le tracé des Templiers 2010. D'abord une partie plate et pénible dans les gorges puis un super sentier qui monte fort. Mais quel plaisir d'être là quasiment seul alors qu'en 2010 j'étais ici coincé dans les bouchons.
Du coup je prends ma revanche et effectue une super montée, doublant entre 20 et 30 personnes. Déchaîné mais sans être dans le rouge, je le paierai sans doute plus tard.


Ca monte, ça monte, et je me régale.




Il n'y a qu'en haut que je prends le temps de m'arrêter, les décors étant vraiment très beaux.



 J'aborde ensuite une des premières parties roulantes que je redoutais, de longues pistes sur le causse où il faut courir. Mais ça va toujours, je suis bien et la pluie fine qui a commencé à tomber ne me gêne pas.





On passe par des endroits superbes, auprès de la Chapelle de St Jean de Balmès puis d'une ferme abandonnée.



Les jolies parties boisées alternent avec des pistes, il faut courir toujours.





Un coucou à Sabine et Jean-Marc, collègues photographes rencontrés au GRP, et j'arrive au deuxième ravito de St André de Vezines en 3h26 (km26). Je suis 50ème, la grosse montée a payé. Je reprends un peu d'eau dans les bidons, bois du coca, mange un peu et repars sans tarder.





Nous sommes toujours sur le Causse Noir et le parcours est globalement roulant, mais vraiment superbe et désertique. Je suis de temps en temps avec un coureur mais la plupart du temps absolument seul, bien loin de la procession des Templiers.
Je prends mon temps pour traverser le joli site de Roques-Altes avant d'aborder la corniche du Rajol. Je ne prends que quelques photos mais c'est un véritable régal pour les yeux. Je vous laisse admirer :











On finit quand même par quitter le causse et aborder la descente. Je commence à trouver le temps long et à être beaucoup moins bien qu'en début de course. J'arrive à la Roque Sainte Marguerite assez émoussé, conscient qu'il faut que je me refasse au ravito. km37, 4h43 de course, 51ème.





Les ravitos sont complets et je mange bouts de jambon, tucs, fromage, tout en buvant un verre de coca et un d'eau gazeuse.


Je refais le plein car le prochain ravito n'est que dans 20km. Pas de boisson énergétique aujourd'hui, de l'eau pure dans une bouteille et juste accompagnée de sirop citron dans l'autre. Peut-être une erreur.


Je quitte La Roque en étant mieux, mais pas au top. Et je me rends compte que cela va être dur dès l'entame de la belle montée en direction du causse du Larzac. Terminée l'énergie de la montée précédente, je ne double plus personne, parfois dépassé par les premiers de l'Endurance Trail qui se court en même temps.

Plus inquiétant, alors que je viens de me ravitailler j'ai très soif. Je bois un peu mais je dois économiser mon stock en vue de la longue section à venir.


Donc on le voit à ma tête, je suis loin du fringant début de course. Au niveau des sentiers, c'est par contre toujours le top avec de supers monotraces à parcourir.




Mais je rejoins maintenant le causse du Larzac, Pierrefiche  et d'interminables parties roulantes. Physiquement ça irait, muscles à peine douloureux, orteils à peine échauffés, aucun problème digestif, mais la tête n'y est plus.
Je sais l'objectif des 8h envolé, je ne trouve rien pour pousser, alors je marche souvent, trottine parfois, pour l'honneur quand il y a quelques spectateurs. Je galère.




Le parcours est toujours beau mais ce chemin en balcon au-dessus des gorges de la Dourbie est interminable. Cinq kilomètres à zigzaguer à flanc de corniche avant de descendre progressivement et d'en effectuer cinq autres en bord de rivière.  C'est très très long.

Je vois passer Gaëlle qui se dirige vers une belle troisième place, puis Antoine parti prudemment et qui réussit une super course.





Moi j'avance toujours, lentement. Pascal me double aussi, super course pour lui , il finira 6ème de l'Endurance.
Je réfléchis, il n' y a pas de raison valable d'abandonner quand on n'est ni malade, ni blessé. Alors je continuerai.



Sur le Larzac.


On navigue  encore un peu sur le Larzac avant d'enfin descendre. Même si je suis faible j'apprécie la beauté des sentiers.


Puis c'est la première féminine de l'Endurance qui me dépasse.



A l'approche de Massebiau, le lieu qui n'arrivait jamais, mon moral a encore flanché. J'essaie parfois de courir un peu mais je ressens de suite que je suis faible alors je me remets à marcher, même en descente. Il est vrai que j'ai peu mangé, quelques bricoles aux ravitos, une demi barre, une pâte de fruits, un peu de barre salée. Mes bouteilles sont vides, plus rien à boire.
L'abandon est maintenant une réalité, des navettes doivent passer à Massebiau et au pire je ferai du stop, c'est très près de Millau. Je ne me vois pas affronter l'énorme montée à venir et d'autres heures de course. Ma décision est prise.



J'arrive donc en marchant en vue du pont qui traverse la Dourbie. J'ai mis 3h15 pour environ 15km (8h de course).
Des spectateurs sont là, m'encouragent. Ils me crient : "Allez, vous avez fait le plus dur !"
Je réponds en passant près d'eux que l'envie n'y est plus. Et une femme me répond : "Vous n'avez pas fait tout ça pour rien, allez !"

Ce sera le déclic et maintenant, en l'écrivant,  les larmes qui ne sont pas venues à ce moment là ni à l'arrivée sortent enfin.

Je m'arrête à la fontaine près de la boite aux lettres (lieu étudié bien avant la course), je mange un bout, rempli mes deux bidons et me lance dans l'énorme montée, suivi par deux coureurs.



Mon rythme n'est pas très rapide mais semble leur convenir. Je mène donc pendant un moment mais j'ai peur d'aller trop vite pour ne pas les ralentir. Alors je préfère me serrer, les laisser passer et m'asseoir quelques minutes avant de repartir.



Cette montée est vraiment très raide et plutôt longue. Quelques coureurs me passent, dont la 2ème de l'Endurance. On passe  un replat pour souffler un peu, endroit où je reviendrais le dimanche pour prendre des photos sur les Templiers.



Puis la montée reprend et je l'effectue devant un coureur de l'Endurance. Il me signale un vautour qui tourne dans le ciel. Je lui réponds que c'est normal, le rapace a vu que l'on n'était pas bien. Ce soir il aura à manger.









Puis la montée se termine enfin et après quelques pistes en sous-bois, j'arrive au joli ravito dans la ferme du Cade.  km58, 93ème en 8h56

Il est temps de se refaire pour terminer. Niveau des bidons, coca, jambon, fromage et gâteaux salés. Je prends mon temps avant de repartir pour les six derniers kilomètres. C'est globalement roulant puis descendant mais il y aussi quelques petites côtes à passer.

Un moment je tente d'accélérer un peu pour terminer sous les 10h, puis je reprends mon rythme lent, toujours accompagné de mon bâton.




Je passe la Pouncho d'Agast avec une belle vue sur le ciel chargé et Millau qui nous attend en bas. Mais il faut d'abord affronter une longue descente, très belle mais très technique aussi. En 2010 sur la fin des Templiers j'étais frais et je l'avais dévalée à fond, même si le terrain était mouillé et difficile.
Aujourd'hui je me contente de la parcourir, toujours en marchant, avec la voix du speaker qui commence à me parvenir.






Je traverse la grotte du Hibou et plonge (lentement) dans le sentier final, toujours technique.




Sur la fin du parcours, je commence à rencontrer des spectateurs et fais l'effort de trottiner. Puis j'arrive à l'enceinte d'arrivée, conçue un peu bizarrement et qui me fait me demander si je suis sur le bon parcours.
J'effectue donc le tour final, avec de hautes marches bien casse gueule quand on n'est plus très frais, pour terminer en courant et en souriant, accueilli par quelques connaissances et Ludo, la voix de l'Utmb avec qui j'avais sympathisé sur l'Utat.


Je lui raconte un peu ma galère, le manque d'envie, la longue marche, l'abandon frôlé. L’œil aiguisé, il notera la présence de mon bâton, rustique.
Millau, environ 64km 3000m+, en 10h10 pour une 103ème  place finale.


Je me sens faible et ceux qui me croiseront ce soir là me feront remarquer que je ne suis pas bien, et que ça se voit. Je récupère mes cadeaux finisher, une belle polaire et une jolie médaille. Alors qu'une dame me la passe autour du cou, je sens une grosse vague d'émotion monter mais je me retiens et les larmes ne sortent pas.

Je prends un petit ravito, je bois, ça ne va pas fort. Je descends doucement à la voiture où je vais goûter avant de somnoler pendant une heure. Puis j'arrive à me booster pour aller prendre une douche au camping.


Je remonte ensuite sur le site d'arrivée pour prendre le bon petit plateau repas et recharger un peu les batteries. Ceci fait, retour à la voiture où je m'effondre très vite. C'est parti pour 11h de sommeil réparateur.

***

Après coup, j'ai essayé d'analyser ce qui n'a pas fonctionné. Je suis peut-être parti un peu vite, surtout dans la montée après Peyreleau. Je pense surtout m'être très mal alimenté. Habitué à manger peu ou pas du tout en entrainement (pour garder la ligne...), j'ai fait pareil ici. Peu de nourriture, pas de boisson énergétique, je pense qu'il n'en faut pas plus pour expliquer ma baisse de régime. Une erreur de débutant pour quelqu'un qui n'en est plus un.

Malgré ça, cela restera un beau souvenir car le parcours est vraiment superbe, du vrai trail avec des grosses montées et descentes, du technique, du roulant et de grands décors.
Je vous conseille de le découvrir sur les Templiers afin de ne pas venir surcharger cette course, le peu de concurrents engagés faisant tout l'intérêt de ce format.








11 commentaires:

Steve a dit…

Ah les erreurs de ravito en course, je connais. ça m'a valu un abandon au GRP 2011, courir un ultra sans manger = danger !
Beau parcours au vu des photos et de ton récit.
L'essentiel est là, tu es finisher et en bonne santé !

Francis a dit…

Ce récit me ramène quelques années en arrière, lorsque nous avions terminés ensemble cahin-caha à Nant...Et là encore, tu as su trouver les ressources pour aller au bout de ce magnifique parcours : tout simplement bravo michel.

Christophe a dit…

Peut être également se fixer un chrono sur un format de course qui ne s'y applique pas... M'enfin on est tous humains

pascal a dit…

bravo michel de t'être remobilisé alors que l'objectif premier n'était plus envisageable. Çà vaut toutes les plus belles perfs, du moins à mes yeux.
Si tu savais l'énergie que j'ai pu tirer des gens qui m'entouraient ainsi que toutes les personnes qui nous encourageaient et aussi des gens de l'intégrale des causses que j'ai remonté... je pense que j'ai autant appris aux contacts des derniers de l'intégrale que des champions en général, une leçon de vie..
encore content de t'avoir vu et triste de ne pas avoir bu un coup en ta compagnie... il y aura sûrement d'autres occas :-)
à très bientôt
pascal

Anonyme a dit…

Comme d'habitude le récit est super, les paysages extras et l'ambiance avait l'air tip top...
On sent de la dramaturgie dans les mots qui transcrivent les états par lesquels tu es passé...
Moi je retiens: une fois encore tu t'es surpassé!!! Cela doit être une formidable satisfaction même si tu as le sentiment d'un "loupé".
Continue bien et prépare nous de superbes Citadelles ;-) (l'affiche est déjà réussie :-))
Seb DPDR

Anonyme a dit…

Encore un chouette récit qui, malgré la difficulté, donne envie d'y aller!! Merci pour ces belles photos! Et bravo à toi, une belle médaille de finisher! On apprend toujours de ses erreurs...

Domie

Anonyme a dit…

Remarquable récit.
Michel, tu sais nous conter l'ambition, la joie, la souffrance, la désillusion et la foi du coureur...le tout accompagné de photos qui nous le font vivre d'autant plus...
bravo pour avoir su résister à l'abandon, chaque course nous fait grandir intérieurement...
RDV à Portet pour cloturer la saison...
(24h portet, aubrac, vignemale, grp, hospitaliers, tous sans pression mais un 10 d'enfer à venir pour le challenge du confluent...tu fais le lièvre?)
Pascal le circadien

Allez plus loin a dit…

Malgré tes déboires, encore une à ton palmarès. l'erreur du débutant nous rappelle à chaque course qu'on doit toujours être sur nos gardes.... Je comprends pourquoi je ne t'ai pas vue sur les Hospitaliers. A bientôt pour les Citadelles 2014.
Bertrand

Anonyme a dit…

bravo michel pour ce récit plein d'angoisse et d'émotions!

ce genre de course permet de travailler le mental nécessaire pour obtenir plus tard de sacré podiums!!

T'as déjà arrêter le Yop chocolat !! maintenant essaye d'enlever la pizza la veille de course ! ;-)
et mange des légumes!! hihihi!!!!


steph81

ced2nay a dit…

aïe, et j'ai cru voir que tu es inscrit sur le tour des cirques au GRP ? Va falloir être plus prudent :)

cathy gimondo a dit…

Bonjour,
J'ai trouvé ton CR par hasard en surfant et je voulais te remercier car il m'a permise de bien aborder cet Intégrale Vendredi...
difficile mais pas insurmontable.
place à la récup..
bises